La Cour administrative d’appel de Paris rappelle le rôle cardinal d’harmonisation du plan local d’urbanisme. Dès lors, une société qui méconnait ces règles, dans la cadre de la création d’un projet d’art urbain sur la devanture de son établissement commercial, ne peut qu’être retoquée par le juge administratif.
Au cours des dernières décennies, le street-art ou art urbain, c’est selon a largement investi nos rues, non sans interroger les juristes. Or, les règles d’urbanisme – qui encadrent l’évolution urbaine et la gestion de l’espace public – ont tendance à inhiber la création contemporaine alors qu’elles devraient l’encourager, ou, au moins, ne pas l’entraver.
En effet, le droit de l’urbanisme, comme le droit de la protection du patrimoine, a été conçu sur le modèle de la police administrative, c’est-à-dire d’une réglementation destinée à prévenir les atteintes contre un certain ordre public, en l’occurrence l’ordre urbanistique. Alors que le Conseil d’État a pu estimer, par le passé, l’absence d’un « ordre public esthétique » (CE, 18 févr. 1972, n° 77277, Chambre syndicale des entreprises artisanales du bâtiment de Haute-Garonne), il n’en demeurerait pas moins que ce dernier existe tant que la règle reste mesurée.
Aussi, l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme prévoit que « le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales » (V. not. CE 6 mai 1970, n° 72946, SCI Résidence Reine Mathilde). Dès lors, il n’est pas inintéressant de s’intéresser au sort réservé par le droit de l’urbanisme à la création d’art urbain par des personnes privées dans l’espace public. Tel est l’intérêt d'un arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 7 décembre 2023 (n° 23PA00427, Sté SEMEH).
Les faits sont simples. Une société, exploitant un établissement hôtelier à Paris, a souhaité faire réaliser une fresque d’art urbain sur la façade du rez-de-chaussée par un artiste connu. Toutefois, par un arrêté du 2 novembre 2020, l’édile parisien s’est opposé à la déclaration préalable à l’exécution de travaux portant sur la modification de la façade de l’immeuble par la société. La société a alors saisi le juge mais a été déboutée tour à tour par le Tribunal administratif de Paris et par la Cour administrative d’appel de Paris.
En effet, il est constant que le plan local d’urbanisme de la ville de Paris prévoit que les devantures en façade doivent s’intégrer harmonieusement au bâti ou que les couleurs des devantures doivent être en accord avec l’architecture du bâtiment. Surtout, dans un fascicule intitulé « Concevoir sa devanture commerciale et son enseigne », la ville a invité les exploitants à « limiter le nombre de couleurs » et à « éviter les couleurs trop vives ou fluorescentes ». Or, le projet envisagé par la société était une fresque constituée de figures géométriques peintes en quinze teintes de couleur distinctes, très vives, telles que le rouge feu et l’orange pur, tandis que ledit immeuble présente une architecture de style Louis-Philippe et une teinte particulièrement sobre. Il n’est pas anodin que l’architecte des Bâtiments de France a donné un avis défavorable car le projet entrait en contradiction totale avec la qualité architecturale de l’immeuble. De facto, le projet ne pouvait être compatible avec l’exigence d’harmonie du plan local d’urbanisme, d’autant que les autres commerces situés dans la même rue que l’immeuble de la société n’avaient pas des devantures assorties de couleurs aussi nombreuses et vives. Cette solution n’est pas nouvelle et l’on se souviendra que le juge civil a pu estimer valable, à propos de la Demeure du Chaos, la disposition du plan d’occupation des sols de l’agglomération lyonnaise qui imposait que « par leur aspect, les constructions nouvelles et les bâtiments anciens soient en harmonie avec les constructions voisines existantes, le caractère des sites et les paysages dans lesquels elle s’intègrent » (Crim. 11 déc. 2007, n° 06-87.445).
Cette vision semblait paradoxale pour la société étant donné que la ville de Paris autorise et encourage l’art urbain depuis plusieurs années – à telle enseigne que le 13e arrondissement est aujourd’hui célèbre pour les nombreuses fresques murales commandées par la ville – et a estimé qu’un traitement différent lui avait été réservé par rapport à d’autres établissements. Néanmoins, une petite – mais non-négligeable nuance – est révélée par l’arrêt rapporté qui en fait tout son intérêt. En l’espèce, le projet d’art urbain concernait la devanture d’un établissement commercial alors que les autorisations de la ville de Paris pour des projets d’art urbain ne concernaient que des établissements non-commerciaux. En conséquence la société n’avait pas fait l’objet d’une rupture d’égalité car la ville de Paris pouvait légalement interdire l’art urbain sur les devantures d’établissements commerciaux, à la différence de celles d’établissements non-commerciaux.
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