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Monument historique : indifférence de la dégradation d'un bâtiment


Les modifications intervenues sur un bâtiment depuis son édification ou la dégradation de son environnement n’ont pas d’incidence sur la qualité historique nécessaire à l’inscription d’un tel bien immobilier. Tel est l’intérêt d’un récent arrêt de la Cour administrative d’appel de Toulouse du 19 septembre 2023.



Monument historique : indifférence de la dégradation d'un bâtiment

 

La loi du 31 décembre 1913, aujourd’hui intégrée au code du patrimoine, assure la protection des biens mobiliers ou immobiliers qui présentent un intérêt pour l’art ou l’histoire. C’est ainsi que « les immeubles ou parties d’immeubles publics ou privés qui, sans justifier une demande de classement immédiat au titre des monuments historiques, présentent un intérêt d’histoire ou d’art suffisant pour en rendre désirable la préservation peuvent, à toute époque, être inscrits, par décision de l’autorité administrative, au titre des monuments historiques » (C. patr., art. L. 621-25). L’inscription entraîne pour les propriétaires « l’obligation de ne procéder à aucune modification de l’immeuble ou partie de l’immeuble inscrit, sans avoir, quatre mois auparavant, avisé l’autorité administrative de leur intention et indiqué les travaux qu’ils se proposent de réaliser » (C. patr., art. L. 621-27).


En l’espèce, l’architecte d’origine ariégeoise Serge Binotto a construit pour ses parents à Mirepoix (Ariège), en 1969, une maison de forme circulaire en s’inspirant du travail de l’architecte Jean Prouvé, dont il était alors le collaborateur. Unique exemple d’application à une maison d’habitation de procédés constructifs industriels développés au sein de l’atelier Prouvé pour la réalisation de stations-services circulaires pour le compte de Total, cette construction a connu des modifications et son état s’est dégradé avant d’être acquise, en 2016, par le gérant d’une galerie d’art parisienne spécialisée dans le mobilier des années d’après-guerre. Alors que ce dernier entendait démanteler la construction, la mobilisation d’architectes ariégeois a conduit le préfet de la région Occitanie à inscrire au titre des monuments historiques, par un arrêté du 7 août 2018, cette « Maison Fiore », dite « Maison Binotto ». Le galeriste a alors contesté cet arrêté devant le juge administratif.


Confirmant la solution du Tribunal administratif de Toulouse (TA Toulouse, 25 nov. 2021, n° 1900609, Sté Galerie Downtown), les juges toulousains ont rappelé que « en dépit du caractère dégradé dans lequel elle se trouvait à la date du classement », le préfet de la région Occitanie avait légitimement pu décider d’inscrire cette maison au titre des monuments historiques. Il est vrai que le législateur a choisi une approche particulièrement souple des critères de l’intérêt suffisant puisqu’il est déterminé par les autorités administratives du ministère de la Culture compétentes en matière de monuments historiques (CE 19 févr. 1969, n° 74800, SCI les Américains et Résidence Carnot). C’est ainsi qu’ont pu être inscrits la salle et les décors du cinéma parisien Le Ranelagh (CE 24 nov. 1982, n° 29038, Caron) ou un immeuble de la rue des Grands-Augustins (CAA Paris 30 mai 2017, n° 15PA03259, Chambre des huissiers de justice de Paris). En outre, et bien que ces critères n’apparaissent pas expressément dans les textes, la rareté ou le besoin urgent de protection sont parfois utilisés (en ce sens, CAA Nancy 13 mai 2004, n° 00NC00856, Cne de Doncourt-les-Conflans). Aussi, la dégradation du bien immobilier ou l’évolution de son environnement ne peuvent pas entraver la décision d’inscription.


La solution était attendue, mais compte-tenu des faits particuliers de l’espèce, une confirmation s’avère la bienvenue.


En revanche, si aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit l’organisation d’une procédure contradictoire devant la Commission régionale du patrimoine et de l’architecture (déjà en ce sens CE, 17 nov. 1995, n° 161059), l’arrêt rapporté s’avère encore plus remarquable en ce qu’il affirme clairement que les décisions procédant au classement d’immeubles au titre des monuments historiques ne sont pas prises en considération des personnes, notamment des propriétaires de ces immeubles, et donc ne sont pas soumises au respect du principe des droits de la défense ! Après tout, la décision d’inscription au titre des monuments historiques est prise sur la seule considération des caractéristiques intrinsèques de l’immeuble qui en fait l’objet (Cons. const. 16 déc. 2011, n° 2011-207 QPC, Sté Grande Brasserie Patrie Schutzenberger). Là encore, le principe méritait d’être affirmé pour clarifier une procédure relative aux monuments historiques où les biens priment sur les personnes.

 

 

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